AU COLLECTIF DE CINEASTES AUTEURS DE
« L’APPEL POUR SORTIR DE L’IMPASSE » :

Stéphane Brizé, Malik Chibane, Catherine Corsini, Pascale Ferran, Robert Guédiguian, Agnès Jaoui, Cédric Klapisch, Christophe Ruggia, Pierre Salvadori et Céline Sciamma

LA TROISIEME VOIE… SANS ISSUE

Vous vous sentez, écrivez-vous, « pris en tenaille » dans le conflit entre employeurs et salariés autour de l’extension de la convention collective du cinéma. Dans votre appel exprimant un « troisième point de vue », vous préconisez « la négociation d’une nouvelle convention collective » pour résoudre la crise. Cela est totalement illusoire.

LA CONVENTION SIGNÉE

Selon le Code du travail la production cinématographique est une branche industrielle dont les employeurs sont répertoriés sous le code NAF 59.11C. En tant que telle, elle doit être couverte par une convention collective étendue négociée par les partenaires sociaux reconnus représentatifs (chambres syndicales patronales et syndicats de salariés) dans une Commission mixte paritaire (CMP) présidée par un représentant du ministère du travail.

La Convention Collective de la Production Cinématographique du 12 janvier 2012 a été signée à l’issue de sept années de négociations par 7 syndicats sur 8 (et non 2 sur 3 comme vous l’écrivez) et un seul syndicat de producteur. Son extension a été approuvée par la Commission nationale des accords négociés du 11 avril dernier.

Sept ans de négociation ! Etes-vous bien certains que tous ceux, parmi les organisations qui s’opposent aujourd’hui à cette convention, avaient une réelle volonté d’aboutir ? Il est légitimement permis d’en douter. Dans ces conditions, « Négocier une nouvelle convention collective » dans le cinéma est une chimère.

LES REALISATEURS DANS LA CONVENTION

Nous, réalisateurs, avons notre place dans la convention qu’à travers notre syndicat pour la négociation de notre définition de fonctions et notre salaire minimum dont nous avons obtenu pour la première fois la reconnaissance. Aucune protestation dans les pétitions contre cet acquis, aboutissement de vingt ans de combats pour la dignité du réalisateur de cinéma et pour lui garantir une protection sociale face au chômage, à la maladie, à la retraite, dont les prestations reposent toutes sur le salaire. Cette revendication a été soutenue massivement par les 1.140 réalisateurs et réalisatrices (dont une bonne moitié de votre « collectif ») qui ont signé la pétition que nous avions lancée en 2009 avec le soutien de la SRF, d’Addoc et du Groupe 25 Images « pour un salaire minimum conventionnel du réalisateur supérieur au tarif hebdomadaire minimum de référence le plus élevé des techniciens intermittents placés sous son autorité ».

Comment un « collectif » de réalisateurs peut-il remettre en cause cet acquis, applaudi par la SACD, la SCAM et la SACEM, sans tenir compte de l’immense progrès social qu’il représente pour toute la profession ?

Pas plus tard que le 17 avril dernier, le rapport adopté à l’unanimité par la mission commune des Commissions des affaires culturelles et des affaires sociales de l’Assemblée nationale notait qu’en l’attente de l’extension de la Convention collective du cinéma du 19 janvier 2012 « Ce sont, avant tout, les techniciens de la production cinématographique qui en souffrent, au premier rang desquels les réalisateurs : au début de l’année 2013, ils ne bénéficient d’aucun salaire minimal conventionnel, ce qui n’est pas admissible ».

LES OUVRIERS ET TECHNICIENS DANS LA CONVENTION

Les ouvriers et techniciens représentent 90% des intermittents techniques du cinéma. Ce sont leurs représentants qui négocient leurs conditions de travail et leurs salaires. La convention est donc d’abord leur affaire. Lancer une pétition pour demander que nos collaborateurs soient moins payés n’est pas d’une très grande élégance.

Les ouvriers et techniciens ont accepté la mise en place d’un système « d’heures d’équivalence » (heures de présence non comptabilisées dans les heures de travail « effectif ») qui aboutit à des salaires inférieurs de 10% à ceux de l’ancienne convention, ainsi qu’une clause dérogatoire transitoire avec des salaires abattus de 30% en moyenne pour 20 % des films. Les salariés ont consenti ce « sacrifice » pour « adapter » la convention à la réalité actuelle qui n’est pour autant pas acceptable en l’état. Les salariés ont pris leur part de responsabilité, les producteurs « indépendants » visiblement s’y refusent.

Les réalisateurs sont-il les chiens de garde des producteurs qui « risqueront le pénal en contrevenant à la convention » ? (Y aurait-il des patrons en prison pour non respect d’une convention collective ?)

« L’EQUIPE MINIMUM » ?

Encore un fantasme.

Les intitulés des postes dans la Convention (les cartes professionnelles du CNC étant supprimées depuis 2009, et c’est tant mieux !) ne définissent pas une qualification, mais une tâche : celui qui seconde le 1er assistant et formalise les feuilles de service – ce qui n’est pas le rôle d’un stagiaire – est payé au tarif second assistant. Celui ou celle qui gère l’achat ou la location de costumes est payé au tarif costumier, celui ou celle qui a la responsabilité des raccords, du rangement et de l’entretien des costumes est payé au tarif habilleur. Il peut y avoir une habilleuse sans costumière si l’habilleuse n’est pas chargée de choisir des costumes et ne n’occupe ni de location ni d’achat. Il peut même y avoir personne aux costumes si les comédiens fournissent eux-mêmes leurs costumes, les rangent et les entretiennent. Il en va de même pour tous les postes. Il s’agit de payer la personne selon le travail qu’elle accomplit, ce qui est la moindre des choses. Il n’y a pas d’équipe minimum imposée par la Convention Collective.
Commentaire de Martine Marignac, productrice : « L’équipe complète obligatoire dans la Convention API ? Ca c’est la tarte à la crème, ce n’est pas si vrai que ça. Dans la mauvaise foi, c’est nous qui en rajoutons un peu. » (Cahiers du Cinéma – mai 2013)

UNE CONVENTION COLLECTIVE « MAXIMALISTE » ?

Pour être légalement validée, conformément au Code du travail, toute convention doit contenir des « clauses obligatoires » :
– un salaire minimum par poste applicable à tous,
– une majoration pour heures supplémentaires (sinon l’employeur est passible de sanctions pour « travail dissimulé »,
– les conditions de travail de nuit et le dimanche et les majorations afférentes,
– le paiement des heures de transport

La convention, comme toute convention, y compris celle de vos rêves, doit appliquer la loi.

La convention collective du 19 janvier n’est pas « conçue pour les films à hauts budgets ». Ils n’en n’ont pas besoin. Elle est conçue pour les films pauvres. La convention est conçue pour mettre fin à l’exploitation des salariés du cinéma et aux dérives que vous avez vous-mêmes dénoncées. C’est le principe même de toute convention collective. Elles n’ont pas été inventées pour défendre les riches !

Non, il n’y a pas « d’alliance avec l’API ». Il y a un accord signé. C’est l’APC qui a adhéré au MEDEF, pas la CGT. Le Medef qui est, ne l’oublions pas, l’ennemi n° 1 des annexes spécifiques d’indemnisation chômage des intermittents

LA SOLUTION MAGIQUE : « La négociation d’une nouvelle convention collective » ?

D’où parlez-vous pour négocier une convention collective ? Pour négocier il faut des « partenaires sociaux » et il faut des signataires. Un seul membre de votre collectif est syndiqué… chez les employeurs. L’APC-Medef et ses alliés ont déjà essayé. Verdict du ministère du Travail le 11 avril à la Commission nationale des accords négociés : « L’autre texte conventionnel évoqué par les organisations non signataires du texte soumis aujourd’hui à l’extension n’a pas d’existence légale. »

Votre proposition pour sortir de l’impasse n’est qu’une mystification car ses fondements sont illégaux :

– Le droit du travail est fondé sur un principe irréfragable :
« à travail égal, salaire égal ».
– On ne peut pas découper une convention par tranches de financements : ILLEGAL.
– Une convention ne couvrant que 20% du champ (films de plus de 8M€) : ILLEGAL.
– Une convention laissant « la liberté (sic) de négocier » le non paiement des heures de nuit et des heures supplémentaires pour les films de 3,5M€ à 8M€ : ILLEGAL.
– Une convention avec des salaires à moins 20% du minimum pour les films de 1M€ à 3,5M€ : ILLEGAL sauf régime dérogatoire transitoire.
– Une convention excluant les films de moins de 1M€ qui ressortiraient du « droit général du travail » : ILLEGAL.
​Au fait c’est quoi le « droit général du travail » ? C’est le SMIC et 35h de travail.

Vous proposez donc… que rien ne change.
Votre « troisième voie » n’est qu’une voie sans issue.

ET LE CINEMA DANS TOUT CA ?

Oui, il y a de plus en plus de grosses productions de plus en plus chères.
Oui il y a de plus en plus de films fauchés de plus en plus fauchés.
Oui entre les deux c’est la peau de chagrin.
Oui il y a de plus en plus de délocalisations. C’est la course à l’échalote fiscale.
Oui les techniciens et ouvriers – mais aussi les réalisateurs – sont de plus en plus pauvres.
Et si on n’appliquait pas la convention collective du 19 janvier – ce qui est le cas aujourd’hui et ce que vous appelez de vos vœux – en quoi cela résoudrait-il les problèmes ?

La concentration exponentielle des capitaux sur les grosses productions cesserait-elle ?
La misère des petites productions deviendrait-elle opulence ?
Les films du milieu se démultiplieraient-ils comme des petits pains ?
Les délocalisations cesseraient-elles parce qu’il y aurait harmonisation fiscale européenne ?
Les techniciens, ouvriers et réalisateurs gagneraient-ils plus décemment leurs vies ?

Non, l’absence de convention ne réglera rien du tout… sinon continuer à appauvrir nos professions.

Ecrire que l’application de la convention serait une catastrophe c’est avouer que les salaires des ouvriers, techniciens et réalisateurs doivent continuer d’être une variable d’ajustement permettant au cinéma français de survivre dans les conditions que par ailleurs vous dénoncez (sic).

POUR SORTIR REELLEMENT DE L’IMPASSE

Chers amis, mettons un terme à cette indigne polémique autour de la Convention collective.

Pour sortir de l’impasse, comme vous semblez le souhaiter, les solutions sont connues. Des Assises ont été ouvertes à l’initiative du ministère de la Culture… Aux pouvoirs publics de prendre leur part de responsabilité, de mieux encadrer le système, de réajuster les curseurs qui permettront de pallier au sous financement dont souffre une partie du cinéma français. C’est d’un aggiornamento dont nous avons besoin.

Aux professionnels de mettre toute leur énergie et leurs moyens dans son élaboration plutôt qu’à combattre la droit social.

Le Bureau syndical 15.05.13

S.F.R.-C.G.T. – 4, avenue de l’Europe – 94366 BRY S/MARNE Cedex
tél. : 01.49.83.24.56 – fax : 24-70 – mail : sfr.cgt@free.fr – site : http://sfr-cgt.fr/

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