La cellule cinéma de la mairie mise en cause par un intermittent
C’est un pavé dans une mare que l’on croyait bien claire. Olivier Salvadori, intermittent du spectacle, accuse la mairie de Dunkerque de se substituer aux professionnels du spectacle sur les tournages de films, de lui savonner la planche et de n’avoir aucun projet artistique. L’effet Nolan ne joue visiblement pas pour tout le monde…
Par PAR DIDIER DUPUIS |
Olivier Salvadori, intermittent du spectacle, estime que la cellule cinéma de la ville n’est pas dans son rôle.
C’est le coup de gueule d’un homme qui, en 2012, avait déposé un projet de création de cellule cinéma sur le bureau de Michel Delebarre. Il n’a pas eu le temps d’aboutir et la municipalité Vergriete s’est empressée d’en créer une. Jusque-là, Olivier Salvadori, intermittent du spectacle de son état et « voué à l’audiovisuel et à ma ville depuis toujours », n’avait rien à dire. Mais à force d’entendre « la ville crier cocorico » à chaque fois qu’une production pose ses caméras à Dunkerque, il s’est intéressé de près au fonctionnement de cette fameuse cellule.
Et à l’entendre, elle dépasse largement son domaine de compétences : « J’ai halluciné quand j’ai vu, pour Dunkirk, le personnel municipal et les services civiques dans le rôle de chargés de la figuration. C’est une affaire de professionnels, dans le domaine privé. Qu’une municipalité mette la ville à disposition des producteurs, très bien. Mais là… C’est comme si on faisait appel aux services civiques pour mettre en place un spectacle au Kursaal. »
« Il faut choisir entre une logique de développement et une logique de récupération. »
Persuadé que la responsable de la cellule, Muriel Frémont, lui a mis « des bâtons dans les roues » sur les tournages du Baron Noir et de Dunkirk, Olivier Salvadori regrette que « cette ville qui se considère comme une terre de cinéma n’ait surtout pas de projet artistique. J’ai l’impression qu’elle est surtout intéressée par les tournages pour en faire de la communication. Mais où est le projet artistique de cette cellule ? Pourquoi n’y a-t-il plus de festival ? Pourquoi n’y a-t-il plus d’atelier vidéo comme on l’avait avec l’École de la rue ? Pourquoi n’incite-t-on pas les producteurs à faire des masterclass lors de leur tournage ? C’est ça le travail d’une cellule cinéma municipale, pas marcher sur les plates-bandes des intermittents ou de Pictanovo (lire ci-dessous) ? Pourquoi ne pas favoriser le développement d’entreprises d’image sur le territoire ? Il faut choisir entre une logique de développement et une logique de récupération. »
En précisant qu’il n’est « animé d’aucune revanche », Olivier Salvadori a quand même réussi à trouver quelques piges sur des tournages à Dunkerque. « Pictanovo m’envoie les producteurs qui se tournent vers eux. Ils connaissent mes compétences. » Après Autour de Luisaen août, il travaillera sur une web série à Boulogne, Ostende et Dunkerque pour France Télévision et la RTBF : « Je serai l’interlocuteur de la cellule cinéma pour cette série. » Que doit-il en attendre ? « Elle n’a aucun cahier des charges, elle agit à la tête du client. Quand un tournage débarque avec un producteur ou un acteur connus, on l’aide considérablement. On a déroulé le tapis rouge pour Nolan. Mais pour les autres ? »
« Pas des professionnels reconnus »
Par La Voix du Nord |
En fin d’année dernière, alors que nous révélions l’identité de Christopher Nolan comme producteur de Dunkirk, le bureau d’accueil des tournages de Pictanovo (1) avait envoyé un courrier aux professionnels du spectacle de la région pour les inciter à lui envoyer leur CV plutôt qu’à la mairie de Dunkerque.
Si ce n’est pas clairement une remise en cause de la cellule cinéma de la ville, on sent au ton employé que Pictanovo veut éviter les interférences avec la municipalité. Surtout, l’organisme entend défendre les intermittents du spectacle : « Pictanovo vous connaît, sait vous valoriser, connaît les impératifs professionnels d’une telle production et sait aussi respecter le désir de confidentialité ! »
Plus loin, la lettre précise que la ville de Dunkerque souhaite accentuer le partenariat « Film Friendly » conclu avec Pictanovo. Il précise que c’est « une bonne chose », mais prévient tout le monde : « Ça ne fait pas de la municipalité ni de l’équipe mise en place des professionnels connus et reconnus du secteur cinématographique et audiovisuel (ndlr : ce que confirme la cellule cinéma ; lire page ci-contre). Là où une ville ne pourrait parler que d’elle et des intermittents présents sur son territoire, Pictanovo valorise et accompagne tous les intermittents et forces vives de la région, sans passe-droit de résidence ou de je ne sais quoi (…) Le premier à être en contact et à accompagner les productions, c’est bien Pictanovo et non les municipalités. »
D.DUP.
(1) Pictanovo est un organisme d’appui à la production audiovisuelle et cinématographique dans la région Nord-Pas-de-Calais.
«Les retombées économiques et l’emploi local sont nos priorités»
Mise en cause par Olivier Salvadori, Muriel Frémont, chargée des projets de tournage, estime que la ville ne marche pas sur les plates-bandes des professionnels du cinéma. « Ce n’est pas notre rôle », assure-t-elle.
Par PAR DIDIER DUPUIS |
Muriel Frémont incarne la cellule cinéma de la ville de Dunkerque. Mise en cause directement par Olivier Salvadori, elle n’accepte pas ses attaques : « Ce qu’Olivier Salvadori ne comprend pas, c’est que la création de la cellule cinéma pouvait lui être profitable. À lui comme à tous les professionnels qui en vivent. S’il n’est pas toujours retenu par les productions, ce n’est pas le problème de la cellule. Mais sa carrière n’était-elle pas sur le déclin lorsque la cellule a été créée ? »
Elle n’ira pas plus loin dans la polémique. Mais elle profite de l’occasion pour rappeler ses missions : « Notre priorité est le développement économique généré par le tournage des films et l’emploi local, en particulier celui des intermittents, qui ont un statut fragile ». Elle balaie un à un les arguments avancés par Olivier Salvadori : « Jamais nous n’avons dirigé un casting, ce n’est pas notre mission, nous avons toujours un directeur pour ça. Ce n’est pas la cellule cinéma qui transmet les CV aux productions mais bien Pictanovo, qui gère tout ce qui touche de près ou de loin aux professionnels. Nous ne sommes pas compétents dans ce domaine. Pour le film de Nolan par exemple, la production avait besoin de CV en anglais. C’est Pictanovo qui les a fait traduire pour la production. On a d’ailleurs découvert que le secteur est riche en professionnels de tout genre, des comédiens, des régisseurs, des maquilleurs. »
« Une facilitatrice »
À l’entendre, il n’y aurait donc aucune ingérence municipale sur les tournages : « La seule condition que l’on pose aux producteurs, c’est de jouer la carte locale. La preuve, Peninsula Film a embauché des Dunkerquois sur d’autres tournages après Dunkirk. »
Muriel Frémont se place comme une « facilitatrice des productions » : « La phrase que je préfère prononcer quand un producteur arrive, c’est : «Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?» Qu’il ait besoin de barrières, d’une autorisation de la sous-préfecture ou d’un accord pour filmer sur le port, il doit savoir que nous sommes le point central, avec nos réseaux. On assure la logistique et il y trouve vite son intérêt. Et sans aucune distinction entre une superproduction américaine, un clip musical ou un spot publicitaire. Il n’y a de tapis rouge pour personne mais on peut aider tout le monde. » Et quand Olivier Salvadori sera son interlocuteur sur un film, elle assure qu’elle n’aura aucun problème : « Je suis une professionnelle qui travaille pour le service public ».