Le cinéma français se gave encore (mais la polémique ne prend pas)

Les mêmes méthodes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Cinq mois après avoir lancé une polémique gigantesque sur le financement du cinéma français, « Le Monde » a retenté l’expérience ce week-end : à peu près les mêmes arguments, tenus par quelqu’un de plus connu que le producteur Vincent Maraval, puisque c’est le metteur en scène oscarisé de « The artist », Michel Hazanavicius. Même place, à nouveau en une du journal.

Pourtant, les vagues ne seront probablement pas à la même hauteur… d’abord parce que depuis cinq mois, les arguments des uns et des autres se sont étalés partout, et que nul n’a envie de reprendre la même polémique en boucle. Ensuite, surtout, parce que le titre est cette fois-ci nettement moins accrocheur. En fait, personne n’avait lu sérieusement la chronique de Vincent Maraval, mais chacun en avait retenu le titre, choisi par la rédaction du « Monde » et non par l’auteur : « les acteurs français sont trop payés ». C’était clair, simple, brutal, pas forcément juste, mais compréhensible par chacun.

 

La nouvelle attaque contre le cinéma et son mode de financement est plus subtile, titrée « Jusqu’ici tout va bien ». Plus cool que « la haine ». C’est le discours que tiennent de nombreux professionnels du secteur, dans la droite ligne de Maraval, partenaire d’ailleurs de Hazanavicius, qui avait défendu sa position.

Avec un titre pareil, aucun risque de lancer une baston, car seuls les intéressés vont lire. Et ce qui est écrit est loin d’être stupide. Depuis Maraval, un peu d’eau a coulé sous les ponts et le cinéma français se déchire maintenant sur ses conditions sociales de travail : ce milieu qui se croit au dessus des autres, n’avait pas de convention collective, aucun salaire fixé par la loi. Les gros films payent bien en général, les petits films font comme ils peuvent et les producteurs ripoux, assez nombreux, font des économies sur les techniciens, pour se payer grassement eux et leurs stars.

Les producteurs français sont tous montés au créneau pour refuser cette convention, menaçant ceux qui la défendent des foudres de l’enfer. Très malin, le producteur Marc Missonnier a mis en avant la productrice d’ »Amour » pour émouvoir la galerie. Ca a marché au delà des espérances, car la plupart des journalistes spécialisés dans le cinéma ont été d’une paresse intellectuelle absolue, suivant les yeux fermés les arguments des producteurs, sans même tacher d’écouter les autres. Quand le délégué du Spiac-CGT avait appelé un de mes éminents confrères de « Télérama » pour lui expliquer sa position, il s’était fait raccrocher au nez, le journaliste (?) lui expliquant qu’il savait déjà quoi penser de la convention !

Pourtant, la convention collective va sans doute s’imposer. Elle ne tuera pas le cinéma français, et les producteurs, s’ils avaient été moins radins, auraient pu la tempérer, l’adoucir. C’est ce qu’a compris Hazanavicius, c’est ce qu’il tente de faire passer dans son papier : il sort le drapeau blanc des négociations. Il est aussi sévère sur ses pairs, acteurs-metteurs en scène-producteurs qui se gavent littéralement sur les budgets, sans prendre aucun risque : la plupart des films sont des échecs en salle. ils s’en foutent puisque les télés sont obligées de les financer par la loi. Ce système pourrait même être étendu à internet, afin de sauver le système. Mais Hazanavicius, tout comme Maraval avant lui, a compris que le cinéma français devrait changer ses mœurs et travailler plus sérieusement, s’il veut faire accepter ces obligations à ces nouveaux financiers.

Sa chronique est donc importante dans le débat… Dommage pour elle qu’elle n’ait pas porté un titre plus offensif. Par exemple « Les producteurs sont nuls et les metteurs en scène et acteurs se gavent trop » . Ca aurait surement fait un peu plus de buzz, et c’est bien cela qu’il nous dit.

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