Laurent Cantet : “La convention collective du cinéma n’est qu’un premier round”

Cinéma | Alors que la convention collective du cinéma doit entrer en fonction lundi 1er juillet et que d’ultimes négociations ont échoué, comment sortir de l’impasse et protéger la diversité de la production française ? Le réalisateur Laurent Cantet nous livre sa vision de l’avenir.

Le 28/06/2013 à 16h13
Propos recueillis par Mathilde Blottière

 

Laurent Cantet. © DR

Les uns y voient une avancée sociale majeure, et un gage de professionnalisation pour un secteur où les négociations de gré à gré ont toujours été la norme. Les autres considèrent que la convention collective, signé en janvier 2012 par la plupart des syndicats de salariés mais par la seule organisation patronale API (Association des producteurs indépendants regroupant Gaumont, Pathé, UGC, MK2), condamne la diversité de la production française. Après l’échec, hier, d’ultimes négociations entre salariés et producteurs, et alors que le texte est censé entrer en vigueur lundi 1er juillet, nous avons demandé à Laurent Cantet ce qu’il en pensait. Récemment élu au conseil d’administration de la Société des Réalisateurs de films, le réalisateur palmé d’Entre les murs est également signataire d’un appel à sortir de l’impasse et d’une lettre ouverte à François Hollande.

Que va-t-il se passer lundi 1er juillet ?
C’est difficile de se prononcer là-dessus. Les organisations de producteurs indépendants voulaient, comme nous, que les problèmes soulevés par le rapport du médiateur soient pris en compte pour amender la convention collective. En dernier ressort, ce sera au gouvernement d’arbitrer. J’espère que sa récente victoire sur le dossier de l’exception culturelle ne l’autorisera pas à décréter l’extension du texte tel qu’il a été signé par les gros producteurs et la CGT. Toute la question est de savoir ce qui va être étendu exactement.

Quelle serait la meilleure solution selon vous ?
Le mieux serait une extension partielle. Cela aurait le mérite d’acter le principe même d’une convention collective, tout en ménageant un délai de négociations sur les revenus des techniciens. Il faut mettre un terme aux abus mais en prenant en compte la diversité économique et artistique de la production. Pour les films compris entre tel et tel budget, on pourrait, parallèlement à l’obligation de payer les techniciens au minimum syndical, conserver une liberté de négociation de gré à gré sur les heures de nuit ou les heures supplémentaires par exemple. Il faut se remettre autour d’une table.

Au fond, on partage tous le même but : que tous les films puissent se faire dans les meilleures conditions possibles. Notre stratégie diffère. Les « pour » pensent que l’extension de la convention collective, qui met en péril un certain nombre de films, aura un effet de levier qui obligera les pouvoirs publics à trouver une solution pour financer ces films autrement. De l’argent, il y en a dans le cinéma, c’est un fait. Mais les pouvoirs publics ne sont pas seuls dans l’histoire : il y a aussi les télés, les soficas, des tas d’acteurs privés dont je doute qu’ils se démènent soudain pour aider à financer les films en péril. Je crois au ré-équilibrage des financements mais pas au coup de baguette magique. La bataille sur la convention collective n’est qu’un premier round. A terme, c’est tout le système de financement du cinéma qu’on doit repenser.

Pour être en conformité avec la loi française,
il n’y aura pas 36 possibilités :
il faudra raccourcir les temps de tournage.

Quels seront les premiers effets de la convention collective ?
On peut parler au présent. Certains ont anticipé l’extension de la convention collective au 1er juillet. Des films qui devaient se tourner cet été ne se font plus, d’autres risquent de se retrouver dans des situations ubuesques. Pour son prochain film, Céline Sciamma et sa productrice ont réussi à lever 2,7 millions d’euros, si la convention passe, elles devront rendre 200 et quelques mille euros pour être sous la fameuse clause de diversité fixée à 2,5 millions et pouvoir payer les gens moins cher. Ou bien c’est ce réalisateur qui, s’apercevant qu’il ne serait pas dans les clous de la convention, a retravaillé son scénario en virant dix pages de tournage. Il a refait une étude, et comme ça ne passait toujours pas, il a tout arrêté. Le producteur ne peut pas prendre un tel risque.

Et puis, en-dehors des projets abandonnés, il faut s’attendre à une myriade de renoncements, de pages qu’on arrache, de jours qu’on enlève, et tout ce que cela implique en terme de conditions de travail. On va être obligé de tourner en vingt jours ce qu’on aurait tourné en vingt-cinq : l’ambiance va être terrible. Pour faire un plan, j’ai parfois besoin de plus de temps que ce qu’il faut techniquement pour le faire. C’est le genre de petit luxe, garant de la diversité esthétique de la production, qu’on ne pourra plus se permettre. Ce durcissement des conditions de travail risque d’accélérer encore la délocalisation déjà galopante des films à petit et moyen budget. Pour être en conformité avec la loi française, il n’y aura pas 36 possibilités : il faudra raccourcir les temps de tournage. A défaut, si le scénario le permet, les équipes de tournage prendront la direction du Bénélux où sont déjà post-produits de nombreux films. Quant à ceux dont l’histoire est censée se dérouler à Marseille, ils devront renoncer au film lui-même. Enfin, il y a le cas des projets très spécifiques. Prenez le film que Pascale Ferran est en train de monter : sur quatre mois de tournage, deux ont eu lieu de nuit. Avec cette convention maximaliste, conçue avant tout pour les gros budgets, elle n’aurait même pas pris la peine d’écrire son projet. Au bout du compte, le risque est le formatage des films. Comme à la télé, où on choisit les projets en fonction de leur faisabilité en vingt jours.

Quand on est, comme vous, un homme de gauche, dire non à une réglementation sociale ne doit pas être évident…
On se fait traiter de sociaux-traîtres mais notre position est nettement moins libérale que celle d’en face. Accepter cette convention, c’est conforter les puissants, qui ont intérêt à ce que les films art et essai porteurs disparaissent des écrans. Car les films à moins d’un million d’euros ne seront pas les seuls à souffrir. Tous les films sous-financés seront touchés. Or un film à cinq millions qui n’en a que quatre est sous-financé. On parle d’un cinéma que, personnellement, j’ai envie de continuer à faire, et de voir sur grand écran.

Ne prenons pas le risque de faire disparaître des écrans tout un pan du cinéma -voyons ce qui est arrivé au cinéma italien ! Entendre certains syndicats de salariés dire que si le marché ne veut pas d’un film, celui-ci n’a aucune raison d’exister, me met très en colère.  Le système français a été fort pendant cinquante ans parce qu’il a mis en place des mécanismes qui viennent contrer la sauvagerie du marché. Réfléchissons avant de foutre cela à la poubelle.

Par ailleurs, ce texte consolide les gens déjà en place. C’est exactement la même logique que la réforme du statut des intermittents il y a quelques années. Quand un jeune cinéaste va aller voir son producteur en lui disant qu’il a envie de travailler avec un camarade chef op de son âge, il est bien évident que pour le même prix, le producteur préfèrera prendre une star de la lumière. Je suis d’une génération qui a eu la chance de commencer à faire des films au temps béni où Canal + finançait 98% des films français. Face à ces jeunes cinéastes qui arrivent, plein de vitalité et d’envies, je me sens la responsabilité de tout faire pour qu’ils puissent exister.

Quant à penser qu’on pourra s’arranger, c’est un fantasme. Un producteur ne prendra pas le risque de se mettre hors la loi, en sachant qu’il peut au mieux se retrouver devant les Prud’hommes, au pire, au pénal. Et là, on ne parle pas de grands patrons mais de responsables de PME plus ou moins fragiles…

Quand les films vont commencer à capoter
les uns après les autres,
nous nous retrouverons, j’en suis sûr.

A-t-on jusqu’ici sacrifié la justice sociale à la diversité de la création ?
Je pense qu’on a laissé pourrir une situation et qu’on aurait peut-être dû réagir plus tôt. Il y a eu des abus de la part de certaines maisons de production, il faut le reconnaître. Mais prenons un film à cinq millions d’euros : on réussit à en rassembler trois, puis on rogne sur le salaire du producteur, sur les frais généraux, une partie du salaire du réalisateur, qui est aussi un technicien, éventuellement sur celui des acteurs, puis on essaie de resserrer un peu le scénario, de raccourcir un peu le temps de tournage. Et en dernier lieu seulement, on négocie avec les techniciens. Parfois, on leur demande de faire un gros effort -il arrive qu’ils soient payés à moins 30% du salaire minimum, et obligés de travailler à un rythme très soutenu- mais leur salaire est la dernière variable d’ajustement, certainement pas la première.

Quel impact la discorde de ces derniers mois aura-t-elle à long terme sur le cinéma français ?
La crispation est énorme, c’est vrai. Entre techniciens et producteurs, les relations resteront tendues pendant quelques temps. Mais je suis quand même optimiste : au fond, nous sommes tous du même côté. Pour l’heure, les positions sont purement idéologiques -ce qui se comprend. Mais quand les films vont commencer à capoter les uns après les autres, nous nous retrouverons, j’en suis sûr.

On a commencé à rencontrer quelques techniciens qui, alors qu’ils étaient jusque là très opposés à nos propositions, commencent à se dire que le cinéma n’a vraiment pas intérêt au cloisonnement. Et qu’en négociant ensemble, producteurs, réalisateurs et techniciens, avec les pouvoirs publics, on sera plus forts que chacun dans notre coin.

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