Adresse à Aurélie Filippetti lors du CNPS du 16 juin 2014

Madame la Ministre,
Nous venons d’apprendre que le collectif budgétaire 2014 prévoit une amputation de crédits de 2,3%, soit moins 69 m€ dont 3 sur le programme création. Les informations les plus inquiétantes circulent sur le projet de budget triennal 2015-2017, on prépare les esprits à des baisses de moins 15 à moins 20% pour « mieux » faire passer la pilule amère de baisses légèrement moindres mais tout aussi dramatiques, et ce jusqu’à la fin du quinquennat de François Hollande.
Où sont les engagements de « sanctuarisation » du budget ?
Comme dans tous les services publics soumis à l’austérité, ce sont les missions envers le public, justement, qui sont en grave danger. Les entreprises publiques comme France TV ou les opérateurs du ministère (Centre national du Cinéma, Centre National des Variétés dont la taxe est plafonnée, Opéra National de Paris, théâtres nationaux …) vont connaître des ponctions préjudiciables à leurs missions. Les salariés rapportent en outre une véritable perte de sens du travail avec le développement du mécénat.
Où sont les engagements de rénovation du service public ?
Dans le pacte d’austérité de 50 Mds€, non seulement l’Etat va réduire pour 18 Mds€ les investissements publics mais les collectivités territoriales vont être touchées pour 11 Mds€. Beaucoup ont déjà taillé dans les budgets culturels.
La réforme territoriale, les lois de « décentralisation », contrairement aux précédentes étapes que nous avions soutenues, sont dictées non pas par une volonté d’améliorer le service rendu au plus près des habitants de notre pays mais par la seule même logique d’économies à courte vue. En matière de culture, le rôle de l’Etat n’est pas garanti, la possibilité d’interventions croisées des collectivités territoriales non plus.
La loi création artistique est renvoyée aux tréfonds même du calendrier parlementaire, déjà vidée de sa portée en n’étant pas une loi de programmation et désormais plus une loi d’orientation : elle aurait dû pourtant être prééminente pour affirmer le rôle de l’Etat et de la politique culturelle pour toutes et tous à partir d’un ministère de la Culture de plein exercice.
Où sont les engagements de démocratisation culturelle ?
Les ponctions budgétaires ont des conséquences désastreuses pour l’emploi qu’elle détruit massivement tout en accroissant la précarité, au sein du ministère directement comme dans son champ de responsabilité : parmi les salariés permanents comme les artistes et techniciens intermittents, personne ne se sent à l’abri de cette menace. On ne compte plus les professionnel-le-s qui quittent nos métiers, soit peu de temps après leur arrivée, soit au moment d’une maternité pour les femmes, soit encore à 50 ans pour les plus « âgés », pourtant loin d’une retraite qui paraît hors d’atteinte.
Entre le saccage budgétaire et celui des droits sociaux, le terreau est donc favorable au développement de la précarité, comme dans l’ensemble du monde du travail, n’en déplaise aux donneurs de leçon qui devraient balayer devant leur porte, au MEDEF ou ailleurs. La précarisation de l’emploi (les CDD représentent entre 20 et 25 % de l’emploi à l’opéra de Paris ou à France TV) entraîne la stagnation des salaires, la suppression de postes à contresens du fonctionnement des entreprises (comme supprimer un poste de cintrier à la Comédie Française, alors que ces postes fonctionnement par paire cour/jardin). Nous estimons que les plafonds d’emploi, qui limitent le nombre de CDI en équivalent temps plein, et obligent à embaucher les salariés en CDD, est en contradiction totale avec la jurisprudence européenne sur l’usage du CDD.
Où sont les engagements pour l’emploi, première des priorités ? A ce sujet, les services du Ministères ne répondent même plus de leurs obligations prévues dans l’accord sur le volume d’emploi et la durée des contrats des artistes interprètes dans les Centre dramatiques nationaux.
Outre le fait qu’elle soit néfaste à tous les chômeurs, la convention assurance chômage issue de l’accord UNEDIC du 22 mars, si elle est agréée, confirmerait le protocole de 2003 dont il est démontré qu’il a aggravé la précarité des artistes et des techniciens sans rien régler aux problèmes de fond, avec ou sans S. L’accord du 22 mars dont est issue la convention 2014 a été négociée dans une déloyauté flagrante (le tristement célèbre « différé » appliqué aux intermittents est par exemple apparu ¼ heure avant la fin des négociations, du moins des négociations officielles, la CGT n’étant pas conviée aux tractations de couloir). Tout le travail de propositions, soutenu par une grande majorité de la profession, expertisé, chiffré, équilibré, a été balayé d’un revers de main.
Nous nous retrouvons dans une situation de crise analogue à celle de 2003, car 2003 n’a pas été soldé : il n’y a pas d’autres solutions que de ne pas agréer un accord profondément injuste, il n’y a pas d’autres solutions que de réécrire un nouveau texte qui prennent en compte les préconisations du comité de suivi largement partagées.
Arrêtons-nous un instant sur un aspect : l’augmentation des périodes de chômage non indemnisées, qu’elles soient consécutives à 2003 ou à 2014, va aggraver la situation des femmes intermittentes, en rendant encore plus difficile l’indemnisation des congés maternité. Le Défenseur des droits avait été saisi par les « matermittentes », aucune de ses préconisations n’a été suivie d’effet.
Où sont les engagements concrets contre les discriminations envers les femmes subissant la précarité?
Jean-Patrick Gille a été missionné pour trouver des solutions : nous lui avons répété nos revendications. Vous savez que notre mouvement de grève s’amplifie et que les artistes et techniciens ne se contenteraient pas d’un renvoi à l’automne, sans qu’ils soient entendus et qu’un autre texte soit mis en œuvre.
Où ont disparu les motivations des députés socialistes défendant la PPL en 2007 pour promouvoir un projet inscrivant dans la loi les principales dispositions du même comité de suivi ? Parmi ces députés figurait un certain François Hollande.
Le chantier des conventions collectives n’est pas terminé : après un dur conflit dans le cinéma aboutissant à un compromis, conflit qu’on n’espère pas se voir rallumer par les apprentis sorciers qui ont saisi le conseil d’état, il reste à assurer les mêmes salaires minima aux techniciens travaillant sur les films à plus petit budget. La question du sous-financement d’un certain nombre de films n’a toujours pas été réglée, elle devrait être une priorité avant de ponctionner le CNC. L’annexe « réalisateurs » de la convention collective de la production audiovisuelle est toujours en attente depuis 2006. Nous ne comprenons pas ce qui est prévu pour la radio et télédiffusion, la convention de la prestation est une passoire, encourageant la précarité et le dumping social. Dans le spectacle vivant les progrès restent à faire avec l’articulation public/privé qui peine à avancer.
De même, les négociations sont bloquées en ce qui concerne l’utilisation des prestations des artistes sur Internet, notamment dans le domaine musical
Où sont les engagements de l’Etat sur ce sujet, qui devraient paraître dans les fameuses lois sur la création ?
Au-delà de ces dossiers phares, nous attendons toujours des solutions au problème du non-paiement par l’Etat de sa dette à Audiens, afin de permettre aux salariés intermittents passé par les différents fonds d’Etat (créés après 2004, suite rappelons-le au précédent conflit sur les annexes 8 et 10) respecter et reconstituer les droits complets à la retraite complémentaire, dont les montants sont déjà faibles. Nous allons devoir saisir les tribunaux très prochainement.
De même nous rencontrons de gros problèmes avec l’opérateur Pôle Emploi du GUSO qui s’arroge le droit de donner l’ordre à nos employeurs de ne pas appliquer des accords collectifs. Le comité de pilotage ne s’est pas réuni depuis deux ans. La situation des auteurs au regard de la sécurité sociale est souvent dramatique. Il est urgent de travailler à des solutions tant sur l’accès que sur la coordination des régimes : nous demandons d’urgence la tenue d’un groupe de travail sur ces questions avec la DSS.
AU TNS : les salariés attendent toujours de savoir qui sera leur prochain directeur, qui doit prendre ses fonctions début juillet (alors que vos services s’étaient engagés à ce que ceci soit réglé au 31 mars).
Au CNV, les salariés attendent également de savoir qui sera leur nouveau directeur, qui devrait également en fonction le mois prochain.
A l’EPPGHV, les salariés s’inquiètent du devenir artistique de leur établissement, alors que la Philharmonie ouvrira l’année prochaine.
Votre ministère a des engagements à tenir.
La politique d’accueil envers les travailleurs étrangers vivant en France, malgré quelques avancées, continue de produire des effets terrifiants : nous vous avons saisi de plusieurs situations individuelles qui ne sont pas résolues, dont celle de Walter Anchico Ramirez qui attend depuis presqu’un an qu’on lui évite de retourner en Colombie où il risque gros pour avoir saisi la justice contre son employeur.
Où sont passés les engagements pour permettre à celles et ceux qui vivent et travaillent ici de le faire décemment, a contrario de la lepénisation des esprits ?
Nous attendions, nous attendons une autre politique, l’affirmation d’une ambition pour la Culture, autre chose que la soumission aux dogmes libéraux, une politique de relance, pas une désespérance de plus, pas une renonciation de plus. Nous interpelons au-delà de vous, madame la ministre, un gouvernement et un président qui feraient bien de nous entendre s’ils veulent passer un été culturel un peu plus serein qu’il ne s’annonce.

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