LA FIN DE LA GRANDE ILLUSION… …ça fait mal. Ce qui fait le
plus mal, dans la tentative d’avoir une Convention Collective
applicable à tous, ce n’est pas de constater que nos producteurs et
patrons (pourquoi ce mot est-il aussi peu employé alors qu’il
décrit très bien la réalité des rapports que nous vivons ?) veulent
exercer dans un environnement sans réel cadre légal. On pourrait
dire que c’est de bonne guerre. Ils ne sont pas différents en cela
des patrons des autres secteurs. D’ailleurs, l’appartenance au
MEDEF de certains des plus virulents opposants à la Convention
n’est pas une surprise. Et on peut dire en ce qui les concerne, au
vu des conditions dans lesquelles ils nous font souvent travailler,
que nos illusions étaient perdues depuis longtemps. Non, ce qui
fait le plus mal, c’est la position de nombreux réalisateurs
(heureusement pas tous, même s’ils sont les plus bruyants).
Pourquoi ça fait si mal ? Parce que jusqu’ici, quand le producteur,
ou le réalisateur-producteur, ne pouvait pas payer sur un film les
salaires correspondant à nos compétences (sinon à une Convention),
le réalisateur se donnait la peine de nous impliquer dans son
projet artistique, de solliciter notre aide, de nous faire
participer à ses élans et à ses tourments. En bref, nous sentions
que notre collaboration était importante, nous existions comme
partie prenante d’un projet. Bien sûr, certains la jouaient déjà
rase-bitume : « C’est mieux d’accepter nos conditions que de ne pas
travailler. Et puis, ça te fera toujours quelques heures pour ton
chômage. » En cela, un technicien de cinéma n’est pas différent
d’un autre travailleur précaire. Mais dans l’ensemble, la partie se
jouait avec plus d’élégance, sur le contenu du film : nécessaire,
ou le projet artistique : original, ou notre présence :
indispensable. Avec ce que demandent les réalisateurs d’une
soi-disant « troisième voie », dans un texte commun signé par
certains d’entre eux, opposants virulents de la première heure à la
Convention, plus besoin de s’emmerder. Il suffit de nous dire par
exemple : « Le budget est moins d’un million, t’as droit au SMIC ».
Et nous de répondre : « Merci ». Ce qui était de notre part un
cadeau volontaire, une participation à un projet que nous aimions,
devient un dû à ces Messieurs-Dames les Créateurs, dont l’œuvre est
tellement indispensable au monde qu’elle s’arroge tous les droits.
Ce dû, il sera évidemment impossible d’en contrôler la
justification. Est-ce que le travail de production a été bien fait
? Cela sera toujours incontrôlable. A qui veut-on faire croire
qu’un producteur laissera ouverte sa comptabilité ? Même les
réalisateurs n’y parviennent pas, même quand ils sont
coproducteurs. La fin de la Grande Illusion, c’est celle d’une
famille unie dans un même élan, car la position hiérarchique,
longtemps masquée, revient en force et nous remet à notre place :
le Grand Créateur impose sa loi au nom de l’intérêt supérieur de sa
Création (dont, soit dit en passant, il recueillera seul les
lauriers le cas échéant). Plus besoin de respect, de partage de
conviction : la raison d’état de l’Œuvre suffira à établir les
conditions de travail (avec, au passage, la raison supérieure de
l’intérêt bien compris du patron-producteur). Tu travailles aux
mêmes horaires (et il faut voir lesquels !), avec la même
expérience, la même implication, mais… pas de chance, tu fabriques
une petite voiture, t’es payé 3 fois moins que ton collègue qui, à
côté de toi, fabrique une Volvo. Ah, mais pardon d’avance de
l’insulte… J’oublie que nous ne travaillons pas pour l’automobile,
mais pour l’ART, qui donne tous les droits, surtout celui de faire
travailler tout le monde en précaire, cette même précarité
volontiers dénoncée dans les films de ces mêmes réalisateurs quand
elle touche d’autres salariés (mais nous ne devons pas être de
vrais travailleurs…). Attention, je ne veux pas généraliser.
Nombreux sont les réalisateurs qui n’ont pas signé un appel qui
nous asservit aux finances de l’entreprise. Que ceux-ci me
pardonnent ce mouvement de révolte et qu’ils sachent que je leur
garantis, à eux qui ne l’ont pas transformé en un dû, mon
dévouement le plus sincère. Le technicien inconnu