Réponse aux réalisateurs signataires de l’« Appel pour sortir de l’impasse»
Paris, le 6 mai 2013
Chers amis et collègues réalisateurs,
Dans un appel «pour sortir de l’impasse» vous vous êtes exprimés sur la convention collective de la production cinématographique actuellement en cours d’extension. Il était légitime et important que dans le débat actuel la voix des réalisateurs se fasse entendre.
Malheureusement, en vous lisant, nous n’avons pas reconnu cette voix que nous connaissons si bien pour passer ensemble de longues heures dans nos salles de montage. Alors que nous attendions une parole solidaire, votre appel compatissant nous a choqués. Ce que nous avons entendu est, une fois de plus, que nous coûtons trop cher et que nos salaires mettent en péril le cinéma français.
Des écarts davantage creusés
Vous constatez que depuis des années l’écart ne cesse de se creuser entre films sous-financés et films sur-financés et vous proposez d’établir des frontières définitives en instituant quatre grilles de salaires en fonction des budgets. Ne voyez-vous pas la contradiction ?
Quand on connaît l’opacité des budgets des films actuellement produits, comment pensez- vous éviter les effets de seuil et les manipulations pour tenir sous une barre fatidique ? Sans transparence, comment serait contrôlé le droit de tel film à appliquer une des grilles de salaires imaginées ?
Vous proposez que les films en dessous d’1 million d’euros soient exclus de la convention collective, c’est-à-dire avec des salaires minima au Smic. Autrement dit d’ajouter un ghetto à côté d’un cinéma à trois vitesses. Pensez-vous réellement «partager le constat des techniciens qui dénoncent la dérive à la baisse de leurs salaires» ? Avez-vous une idée des revenus mensuels d’une monteuse ou d’un monteur qui aurait la chance de travailler sur deux longs-métrages au cours d’une année dans ces conditions ? Nous l’avons calculé : 795,35 €/mois*. Voulez-vous que la pratique de ce cinéma devienne un passe-temps, réservée à ceux qui en ont les moyens ?
Un point de vue ambigu
Pourquoi reprendre à votre compte le discours sur le coût du travail, pourquoi à votre tour utiliser le chantage à l’emploi, l’obligation de délocaliser, le frein à la liberté d’entreprendre (pour ne pas dire libéralisme), toutes choses que vous dénoncez dans vos films ?
Pourquoi ne dîtes-vous rien sur la masse considérable d’argent qui circule dans le cinéma français ? Une petite partie de celle-ci suffirait à amortir ce que vous appelez le « surcoût », qui n’est rien d’autre que le juste prix des salaires dont vous dénoncez la baisse exponentielle.
* Deux longs-métrages, pour chacun 14 semaines de montage, donc en tout 28 semaines. Smic mensuel brut 39 heures : 1 634,53 €. 28 semaines = 7 mois, donc 7 × 1 634,53 € = 11 441,71 € brut. On retire les cotisations sociales salarié (- 23 %) et on obtient : 8 810,11 € net. On ajoute les Congés spectacles (1/12) : 8 810,11 € + 734,17 € = 9 544,28 € net/an. Soit un salaire mensuel de : 795,35 €/mois.
Vous préconisez de renégocier la convention collective, alors que les discussions ont déjà duré plus de sept ans pour aboutir à un texte, certes imparfait, mais reconnu juridiquement valable. Voulez-vous rouvrir la boîte de Pandore ? Pensez-vous réellement que c’est une manière de «sortir de l’impasse» ?
Nous nous interrogeons également sur le fait que parmi les signataires de votre appel se trouvent des réalisateurs qui sont aussi producteurs et de ce fait partie prenante, via leurs représentants syndicaux, d’un texte conventionnel ratifié avec la CFDT. Comment se fait-il que ces réalisateurs- producteurs fassent encore de nouvelles propositions, comme si rien de cela n’avait existé ? Savent-ils qu’en agissant de manière à retarder indéfiniment l’extension d’une convention collective ils mettent en grand danger tout le secteur du spectacle puisque cette extension est l’une des exigences du Medef pour ne pas mettre fin au régime spécifique de chômage du spectacle vivant et enregistré, dont la négociation va avoir lieu au troisième trimestre 2013 ?
Un garde-fou indispensable
Une convention collective est le fruit de nombreux compromis. En tant que monteurs, nous avons dû accepter des concessions douloureuses ; nous sommes toujours déclassés par rapport à nos responsabilités, nous n’avons aucune garantie concernant l’emploi de nos assistants, rien n’est prévu pour payer nos nombreuses heures supplémentaires, pour garantir notre présence au mixage…
Et pourtant nous défendons l’extension de ce texte, car il est un garde-fou indispensable face aux pratiques sauvages libérées par la dérégulation.
Nous espérons pouvoir établir un véritable dialogue avec vous, non pas sur la base de propositions qui devraient être l’apanage des représentants syndicaux d’employeurs et de salariés, mais sur la réalité de notre quotidien et pour imaginer ensemble comment les films pourraient être produits, distribués et diffusés dans des conditions loyales et saines. N’opposons pas liberté de création et droits sociaux, nous savons tous que des solutions existent et que les pouvoirs publics doivent exercer leurs responsabilités pour les mettre en chantier.
Le conseil d’administration des Monteurs associés
Addendum
Nous désirons également exprimer notre point de vue sur un certain nombre d’affirmations ou d’omissions que nous avons relevées dans votre appel.
Tout d’abord, nous sommes étonnés qu’en tant que réalisateurs, vous n’ayez pas dit un mot sur l’entrée de votre métier dans le champ de cette convention collective. C’est pourtant un acquis historique, réclamé depuis des années, qui permet aux réalisateurs d’être enfin salariés à part entière, c’est à dire de pouvoir pleinement bénéficier d’une couverture sociale et de participer à la solidarité interprofessionnelle en abondant les caisses des organismes sociaux. Toutes les sociétés d’auteurs (SACD, SCAM, SACEM) et les associations de cinéastes (SRF, ADDOC,…) ont salué cet événement. Pourquoi pas vous ?
Ensuite, vous vous livrez à une estimation mathématiquement incompréhensible du surcoût ainsi entraîné pour un film budgété à 3 millions d’euros : (masse salariale de 30 % sur 3 M € =
900 000 € ; surcoût : 30 % de 900 000 € = 270 000 € et non 400 000 €). S’il est indubitable que la CCC entraîne des augmentations de la masse salariale d’un certain nombre de films, chacun sait que chaque film est un prototype et qu’il est impossible de généraliser ce « surcoût ».
2/4
Mais surtout, vous affirmez «qu’il y a nécessité qu’une convention collective encadre la grille salariale des techniciens et mette un holà aux abus», mais que «l’actuelle convention collective n’est pas une réponse adaptée» car «elle est profondément maximaliste». Vous en additionnez les raisons :
• «Revalorisation de la grille salariale» : ce qui est inexact, puisque les salaires minima garantis ont été établis sur la base des minima syndicaux « historiques », à l’exception de quelques rares métiers, comme le nôtre, qui étaient gravement sous évalués. La
« revalorisation » dont vous parlez tient probablement à l’obligation légale de prendre en compte toutes les heures de travail effectives sur le plateau, et non plus seulement le temps de « tournage » quotidien. Ainsi il faudra rémunérer les heures de préparation et/ou de rangement de tous les techniciens (il n’y a plus de distinction entre techniciens et ouvriers), heures de travail qui sont actuellement négociées plus ou moins confidentiellement pour certains postes, selon les films et les « exigences » des uns ou des autres. Ce « surcoût » est par ailleurs limité par le système des heures d’équivalences (cf. Annexe II-Grille des durées hebdomadaires de travail comprenant des durées d’équivalence) qui revient à forfaitiser un certain nombre d’heures de travail pour certains postes.
• « Obligation de payer tout le monde au minimum syndical» : si vous êtes partisans d’une convention collective, c’est bien le moins qu’on puisse en exiger.
• «Majoration et obligation de paiement des heures supplémentaires» : là aussi, le terme
« majoration » est inexact, les heures supplémentaires sont rémunérées sur une base moindre que la convention « historique » et leurs seuils de déclenchement sont même parfois augmentés. Quant à l’obligation de les payer, elle est inscrite dans le code du travail : une convention collective ne peut en aucun cas être moins favorable que le code du travail et doit fixer les montants de ces majorations. Il est légalement impossible d’inscrire dans une convention collective la possibilité du non-paiement ou de la négociation gré à gré de ces heures des travail. Seuls des systèmes de forfaits (pour des postes à haut degré d’autonomie par exemple) seraient légaux.
• «Majoration et obligation de paiement des heures de nuit» : même chose, une convention collective ne peut en aucun cas être moins favorable que le code du travail qui impose déjà cette réglementation.
• «Obligation de pourvoir certains postes dès lors qu’un poste hiérarchiquement inférieur est employé» : voilà qui est vrai, mais qui ne s’applique effectivement qu’à certains postes. En outre cette disposition est liée aux définitions de fonctions qui sont quasiment identiques dans le texte conventionnel des producteurs « indépendants » signé avec la CFDT. Mais étudions un peu en détail ces postes :
– « L’habilleuse qui ne peut travailler sans costumière » : dans ce cas, la production devra engager une costumière plutôt qu’une habilleuse, si le tournage ne nécessite qu’une personne à ce poste. Il y a effectivement un surcoût : le salaire de la costumière s’élève à 967,91€/semaine, celui de l’habilleuse à 824,86 €. Mais pour le cas où il n’y a besoin ni de l’une ni de l’autre, les comédiens peuvent parfaitement se débrouiller seuls. Personne n’empêche les producteurs et les réalisateurs de pratiquer la liberté de ces méthodes innovantes auxquelles ils tiennent.
– « Un premier assistant ne peut travailler directement avec un troisième assistant » : oui, mais l’obligation ne s’applique que pour la durée du tournage et elle est d’ailleurs identique dans le texte conventionnel signé avec la CFDT. En outre le troisième assistant est en réalité le nouveau nom du stagiaire (en fait nommé : auxiliaire de réalisation, pour le distinguer des stagiaires étudiants qui n’ont pas de contrat de travail). Il est tout à fait logique que le premier assistant ne puisse pas passer son temps à former un jeune sans expérience. S’il n’a besoin que d’une personne en renfort, il prendra un second assistant : 974,23 €/semaine au lieu des 466,30 € du stagiaire, ce qui ne devrait pas mettre le budget en péril.
– Ajoutons le second assistant monteur, qui n’est pas mentionné dans votre appel. C’est le même cas de figure que précédemment, le second assistant monteur est en réalité un stagiaire, rémunéré aussi à 466,30 €/semaine. On ne peut pas l’engager s’il n’y a pas de premier assistant monteur mais la définition de fonction précise : «il peut cependant être engagé pour une durée de travail distincte de celle du premier assistant monteur». Autrement dit il suffit que le premier assistant vienne travailler une journée (!) pour pouvoir légalement engager un stagiaire le reste du temps. Cette fois ci, c’est nous qui ne sommes pas d’accord.
Il est bien évident que le véritable enjeu de ces obligations de postes à pourvoir est de limiter les possibilités de faire effectuer le travail d’un poste à une personne payée à un tarif inférieur. Voilà qui nous semble plus que légitime.
De toute cette énumération, il ressort qu’il y a pour le moins une contradiction entre votre désir de voir appliquer une convention collective et la réalité réglementaire d’un texte conventionnel. Nous posons la question : êtes vous bien sûrs de vouloir d’une convention collective ? Ou pensez-vous que le cinéma doit être au-dessus du droit du travail ?
c/o La fémis – 6 rue Francœur – 75018 Paris – monteursassocies@gmail.com – www.monteursassocies.com